Le 23 février dernier, j’ai suivi Nawel, Mélina, Mathilde, Ahmad et Jamshid pour assister à mon premier cours de dari. Mathilde, Nawel et Mélina travaillent pour une association qui constitue les dossiers des demandeurs d’asile, afin de les aider à obtenir le statut de réfugié en France. Leur lieu de travail accueille principalement des hommes afghans.
Les recevant chaque jour, elles ont fait le choix d’apprendre le dari, qui est une des deux langues les plus parlées en Afghanistan. Ahmad qui devient leur professeur pour l’occasion, est interprète en France et calligraphe en Afghanistan. Jamshid est arrivé en France il y a un an, et attend toujours une réponse à sa demande d’asile. Il vit avec Mélina depuis quelques mois. Tous les cinq ont accepté de m’accueillir chaque semaine pour le cours de dari, chez Mélina.
J’ai enregistré leurs voix, appris des mots et des chansons à leur côté, puis réagi par le dessin à leur paroles échangées.
Le reportage sonore est à écouter ici
Mon travail fut dans un premier temps de collecter une matière sonore qui me permette de vous faire entendre cette rencontre. Puis d’y réagir, en associant une sensibilité plastique au documentaire, le dessin à la parole.
Apprendre le dari pour comprendre le pas difficile que « celui qui arrive » doit faire vers nous, décider de faire le chemin en même temps. Se mettre à la vitesse de l’autre en essayant de répéter sa langue, et en bégayant aussi devant la difficulté de l’informulé, de l’inouï.
La position de « naïf » dans laquelle se trouve celui qui doit tout réapprendre dans une autre langue, a guidé ma redécouverte et ma réappropriation des jeux d’enfance.
Leur fonction a priori divertissante s’entrechoque ici avec la gravité de la situation réelle et quotidienne des demandeurs d’asile et de leurs interlocuteurs.
Leurs formes incluent la possibilité du réversible, de l’ambigu, de la différence dans la réunion, de l’étrangeté dans la paire, de l’intrus dans la série…
Ainsi chacun des jeux que j’ai fabriqué contient à la fois une menace et une reconstruction.
J’ai imaginé que le jeu devait se constituer avant tout comme une éducation à l’autre, une pédagogie de la rencontre, et de l’ouverture aux rives de l’étranger.
Ma volonté était d’accompagner Jamshid, Ahmad, Mathilde, Nawel et Mélina, en inventant un vocabulaire de formes à leur contact. Construire, colorer, accorder, pour prendre conscience de ces moments de partage, pour les garder en mémoire et tenter de les traduire afin de vous les transmettre.
Ma proposition doit être prise comme une invitation à se réunir et s’attabler, et non seulement écouter et regarder, mais aussi toucher et dialoguer, apporter le mouvement des mains qui cherchent et qui assemblent.
• Les mnémotechniques, cartes français-dari
Cartes de jeux imprimées en linogravure et en quatre exemplaires
J’ai conçu ce jeu à partir de l’observation du cours de dari, pendant lequel Nawel, Mélina et Mathilde utilisaient beaucoup de moyens mnémotechniques pour se souvenir des mots.
Ce système de déformation d’un mot dari en un mot français marquant ou qui évoque un contexte plus ou moins proche produit des associations d’idées assez cocasses.
• Un Monde Habitable, jeu de dominos
La face jaune au verso révèle des travailleurs qui coupent,
scient, bâtissent, transportent…
La face verte au recto dessinent des rives et frontières
comme le ferait une cartographie.